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COMMUNICATIONS

 

 

 

Bonjour… Je m’appelle Aramis… oui… oui…

Ah, c’est un des quatre mousquetaires…

Tiens ! Tiens ! Je ne savais pas !

Bref je suis siamois… comment ?

Non je ne viens pas du Siam… je suis français de chez français… Je suis né à Fabregasse dans le Midi comme vous pouvez le voir à mon accent… ma mère aussi et mon arrière-grand-mère venait de Saint Jean de Luz… Mais il paraît que je suis quand même Siamois… non… pas Siatoi… Sia-m-o-i-s. C’est une région de la Chine (paraît-il…). Cela se voit à mon physique oriental, les yeux en amande et tout… la grande classe quoi…

Bref, assez parlé de moi…

Je vis depuis mon jeune âge chez Bruno et Colette qui m’appartiennent depuis toujours. Ce sont de bien braves gens près de la soixantaine. Ce qui fait que leurs enfants sont déjà partis ou étaient déjà grands quand je suis arrivé… donc je n’ai jamais connu les oreilles tirées, les caresses intempestives, les blagues bêtes. Leurs enfants n’étaient pas encore mariés, il n’y a pas de petits-enfants… et pour ma part je ne suis pas pressé d’en voir débarquer… quoique cela ne sera pas tout le temps… Bref je peux me préparer à une vie tranquille, peinarde… de bons coussins moelleux… un bol de croquettes bien garni… un distributeur d’eau toujours fraîche… et en prime un lot de caresses.

Le tout dans un cadre agréable avec un petit jardin. C’est y pas sympa ?

C’est alors qu’il m’est arrivé une bien étrange aventure…

Un jour il était là… dans le jardin… maigre, dépeigné… Je lui ai grogné jusque ce qu’il faut… c’est chez moi quand même ! Mais malgré mes origines je suis d’un caractère paisible… peut-être parce que j’ai perdu quelque chose d’énervant dans ma jeunesse… bref, j’ai fait celui qui ne voyait rien quand maîtresse lui a apporté discrètement quelques croquettes… et les jours ont suivi ainsi… Comme rien ne changeait pour moi, ni la quantité de croquettes, ni l’eau propre du distributeur, ni les caresses… ni le moelleux des coussins… j’ai fini par le laisser s’y installer dessus… (d’autant plus qu’il y a douze coussins et même en m’allongeant de tout mon long je n’arrive pas à les occuper tous)… Il était désormais bien peigné malgré son poil long et noir de semi-angora…

Il n’est pas trop vieux… même plus jeune que moi… Au début nous avons parlé de banalités… puis des choses sérieuses.

Le pauvre n’a pas eu de chance ! … abandonné comme tant d’autres par des maîtres irresponsables… il a erré de-ci de-là rejeté de partout… agressé par les hommes et les animaux ce qui explique son œil unique, sa demi-queue, ses dents cassées et sa voix rauque. Le pauvre ! Quand on a toujours été heureux… c’est difficile de se mettre à la place de ceux qui n’ont rien…

Bref, nous avons sympathisé comme vous le comprenez. Comme je connais bien mes maîtres j’ai expliqué à mon nouvel ami que son avenir était assuré… Il était adopté.

Bref… malgré ses malheurs Aristote (hu !hu !hu ! c’est d’un ridicule ce nom de philosophe mais ils l’ont appelé ainsi… ni lui ni moi n’y pouvons rien) Ari donc, a gardé un goût prononcé pour la nature. Ché comme chat. Euh… c’est un reste de vacances en Auvergne… donc dirais-je c’est comme ça…

La liberté cela compte aussi, surtout pour certains… moi je préfère les coussins… donc Ari rêvait de faire un beau voyage pour revoir des sites connus du temps de sa misère… Je ne manquerai que quelques jours dit-il… puis je reviendrai…

Cher ami, lui dis-je, je vous mets en garde contre cette imprudence… vous ne savez pas ce que vous allez rencontrer sur votre route… est-ce bien utile d’en courir des dangers alors qu’ici tout vous est acquis.

Cher ami, répondit-il (il s’était beaucoup policé à mon contact) je ne puis m’empêcher d’avoir les pattes qui frissonnent à cette perspective. Malgré le plaisir que j’ai de votre compagnie et le confort d’ici, il est difficile d’abandonner une vie aventureuse d’un seul coup… Je partirai donc mais je reviendrai je vous promets… Vous direz à nos maîtres que je leur suis reconnaissant et ne les ai pas abandonnés…

Le lendemain il était parti…

Vous direz à nos maîtres.

Il en avait de bonnes... Bruno, Colette et moi avons un langage commun mais… limité…

J’ai faim. J’ai soif. J’ai sommeil. Je veux des caresses. Je suis malade. Je suis énervé… “Le copain est parti en randonnée” ne fait pas partie du registre que nous employons.

J’ai donc vu mes chers maîtres s’époumoner en vain à appeler cet inconscient : “Ari… Ari…”. Puis l’œil triste, l’air abattu se résigner sans comprendre à sa disparition… Qu’est-ce qu’ils s’attachent à nous tout de même… J’ai fait de mon mieux pour les consoler…

Une semaine a passé, puis deux, puis trois… J’ai commencé à me faire du souci.

Ari était-il mort ? Blessé ? Perdu ?...

J’ai sonné, sonné… mais il n’a pas décroché…

C’est alors qu’il s’est produit une chose étrange. Au lieu de partir tous les matins (à la même heure ce qui était bien commode moi qui n’ai pas de montre pour savoir quand me lever) Bruno a commencé à rester à la maison (Colette y restait déjà)… Puis mes chers maîtres se sont absentés quelques jours et la voisine s’est bien occupée de moi comme chaque fois qu’ils partent en vacances.

… C’est un cordon bleu hors pair et en dehors des croquettes il y a toujours un supplément… même que ma ligne “Hem”.

Quand ils sont revenus ils étaient tout excités… un tas de gens sont venus et un mois ½ après j’ai vu des hommes emporter les meubles… Je ne me suis pas fait de soucis car mon canapé en faisait partie… Moi on m’a mis très vite dans mon panier (celui que je n’aime pas car il sert essentiellement à aller chez le vétérinaire), mais cette fois-ci j’ai compris que c’était autre chose…

Et ensuite, hop, nous sommes partis en voiture, juste derrière les meubles… et nous avons roulé, roulé, roulé…

… A l’arrivée plusieurs surprises m’attendaient… une autre maison… un jardin plus grand… et une petite chienne Pinky qui n’avait pas de maîtres non plus. Il paraît que c’était la mienne, un cadeau dont Bruno et Colette auraient pu se passer. Mais je n’ai pas voulu les vexer en faisant mépris de leur présent… d’autant que, je ne le répéterai jamais assez, je suis d’un caractère facile qui s’entend avec tout le monde…

Presque un mois s’est écoulé… Je pensais de temps à autre à notre pauvre Ari… J’en parlais parfois à la petite Pinky car malgré notre différence ethnique nous étions aisément parvenu à nous entendre comme à nous comprendre entre gens de bonne volonté… Notre pauvre ami était-il mort… avait-il essayé de revenir chez nous, sans bien sûr nous retrouver et, désemparé, avait-il repris son errance… Nous devisions ainsi des heures… Moi allongé sur le canapé… désormais trop grand pour moi… elle affalée sur le tapis de haute laine, les oreilles attentives à mes paroles… car heureusement mes chers meubles avaient suivi… Le surlendemain je dormais en ce même lieu… lorsque le téléphone sonna avec tant d’insistance dans mon pauvre crâne que je me réveillais… et me branchais sur la ligne illico…

Allô… dit une voix connue et reconnaissable entre toutes… Ari… ce cher Ari…

Après quelques banalités d’usage… notre pauvre ami me confia son désarroi. Revenu à notre doux foyer, il l’avait trouvé vide de notre aimable présence… Une famille habitait à nos places avec des enfants querelleurs et un chien antipathique auquel il avait dû se cacher pour ne pas être croqué… Il avait réussi à voler quelque nourriture… et m’appelait pour savoir où nous étions passés

Je lui racontais le départ de nos maîtres “en retraite” dans leur région d’origine… et l’arrivée en ce nouveau lieu…

Il me demanda si c’était loin… Je lui répondis par l’affirmative car nous avions roulé plus de trois heures…

Après réflexion… il me dit qu’il ne voyait pas d’autre alternative que celle de nous rejoindre à pied… si je voulais bien le guider par téléphone ce que j’acceptais bien volontiers… Je lui donnais les premières indications de la direction que nous avions prise telles que je les avais perçues de mon panier… Je le mis en garde contre les dangers de la route… Il m’assura qu’il serait prudent et mettrait pour cela plus de temps qu’il faudrait si nécessaire…

Je décidais de rester branché en permanence jour et nuit ce qui me fatigua et me rendit plus nerveux et irritable que de coutume. Mes bons maîtres, toujours enclins à me comprendre en accusèrent le changement de lieu…

Il s’écoulait parfois deux ou trois jours sans qu’Ari téléphone, durant lesquels je me rongeais les sangs, tout en essayant de me persuader que c’était parce qu’il se trouvait sur le bon chemin.

Quand il appelait je le guidais : “Prenez à droite sous le pont. Attention au train c’est une voie ferrée. Ici à droite empruntez le chemin de terre… c’est un raccourci”.

Il resta soudain cinq jours sans appeler… D’une humeur massacrante et la tête toute en soucis je décidais de quitter néanmoins mes coussins moelleux pour me détendre au jardin… Quand des exclamations retentirent… Bruno levait les bras au ciel… Colette pleurait et se penchait pour le caresser en disant “C’est Ari c’est bien lui, je le reconnais, son œil, sa queue, sa voix…”.

Notre ami leur souhaitait le bonjour de sa voix grave… C’était bien lui… Je n’avais pas besoin de tous ces signes pour le reconnaître… son odeur (nous avons chacune la nôtre) parlait assez pour lui, c’aurait été un importun, je l’aurais chassé derechef pour me calmer les nerfs.

… Nous nous saluâmes gravement pour masquer notre émotion réciproque à ces retrouvailles.

“Tu vois” disait Colette à Bruno, “c’est bien Aristote, même Aramis le reconnaît”.

Elle aurait dû dire : “C’est surtout Aramis qui le reconnaît”.

Je lui présentais Pinky… Il se restaura un peu, je lui laissais user de mes croquettes et de mon eau. Puis il s’installa sur le canapé, à sa place habituelle, fit sa toilette et nous nous endormîmes tous les deux pareillement épuisés du sommeil du juste.

Tandis que Colette proclamait la nouvelle à tout va, famille et amis, de son téléphone :

- Je me demande comment Ari, qui ne connaissait pas cette maison a pu nous retrouver… C’est extraordinaire.

- Et pourtant tout simple, en me téléphonant comme tu le fais actuellement à tout le monde, ma chère maîtresse.

 

 

 

A mes bons amis humains, si vous saviez tous les mystères et les pouvoirs du chat ?

Ne sommes-nous pas un peu extraterrestres ?

 

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