top of page

LA BONNE ACTION

 

 

 

«  Il y a quelques années Â» raconte Frédéric Â» je faisais partie des jeunes de la SPA avec quelques copains dont mon ami Norbert.

Tous les jeudis (en ces temps-là nous avions le jeudi) nous allions au refuge aider les bénévoles, et ce jour-là, nous participions, le cœur ému aux adoptions.

Elle est arrivée un après-midi de printemps entre 16h00 et 17h00… une dame entre deux âges… voulant faire jeune… maquillée comme au théâtre… bijoutée au maximum… et habillée comme à 20 ans avec un goût très très relatif.

Elle a sonné.

Nous sommes allés voir, surpris de cette apparition dans notre petit refuge surpeuplé.

«  Bonjour Madame. C’est pour ? « a demandé Norbert poliment.

«  Bonjour jeune homme, Â» a-t-elle minaudé comme une starlette, inconsciente visiblement du ridicule. « Je viens faire une bonne action ! 

- ???

- Je viens adopter un petit chien… un petit chien dont personne ne veut ! Â»

Nous nous sommes regardés passablement surpris… nous attendions autre chose d’un tel personnage… catégorie « j’achète un chien de race très cher chez un éleveur Â».

«  Oui Madame, entrez… Â»

Elle est entrée… l’air ému… nous nous sommes regardés et, d’un commun accord, nous avons sorti « Pirate. Â»

Pirate était un gentil chien, de taille moyenne, il était croisé griffon/caniche, ce qui lui donnait un air vraiment très hirsute. On l’avait trouvé sur une route… maigre à faire peur… si on rajoute qu’il avait environ 5 ans… qu’il était noir et borgne avec une grande cicatrice lui barrant la tête… on comprendra que ses chances à l’adoption étaient quasiment nulles.

Mais, à notre grande surprise, dès qu’elle l’a vue, la brave dame s’est mise à pousser de petits cris de joie  et s’est exclamée :

- « C’est exactement celui que je veux ! Â»

Nous nous sommes regardés et… bon… nous sommes allés au bureau faire les papiers emmenant le « Pirate Â»,  encore plus surpris que nous de ne pas retourner en cage, car, jusqu’à présent, chaque fois que nous le sortions pour essayer d’apitoyer un quidam,  celui-ci prenant l’air ennuyé et gêné disait. « Vous n’en avez pas d’autres ? Â» Et Pirate retournait d’où il venait.

La « dame Â» était aux anges :

-Il est gentil le toutou Â»  bêtifiait-elle tandis que nous avancions. « Il tiendra compagnie à sa maman… pauvre maman qui est seule depuis que papa est au ciel… et gnagnagna… Â»

Pendant que la secrétaire remplissait les papiers Norbert et moi nous nous sommes regardés. J’ai alors pris la parole :

«   Si vous permettez, madame, sans vous offenser… nous exerçons… pour tout le monde… un service de suite… et, si nous ne vous dérangeons pas,  nous nous permettrons de passer chez vous un de ces jours .

- Mais, bien sûr, jeune homme a-t-elle répondu, tout sourire. Il y a de si vilaines gens qui martyrisent les bêtes, comme ceux qui ont blessé mon pauvre Pirate… venez quand vous voulez… mais téléphonez avant car j’ai une vie mondaine… vous comprenez… sauf le jeudi… en général je ne sors pas l’après-midi… sauf quand je vais adopter un petit chien… hu ! hu ! hu ! a-elle pouffé.  Â« 

Nous avons arboré un sourire poli. Pirate est parti au bout d’une laisse avec sa nouvelle maîtresse et l’air fiérot de ceux qu’on a choisi.

Jamais semaine ne fut plus longue. Le jeudi suivant Norbert et moi quittons le refuge vers 15h00 et nous rendons à l’adresse indiquée. Nous voilà devant un bel immeuble Haussmannien dans un quartier très chic.

Tout intimidés… nous sonnons… Une voix revêche nous répond.

«  c’est pourquoi ? Â»

-« Nous sommes Norbert et Frédéric de la SPA et nous aimerions voir Mme Untel. Â»

Un silence… puis la même voix radoucie nous parle :

«  Montez… Madame va vous recevoir… 2ème  Ã©tage porte à droite. Â»

Nous n’osons pas prendre l’ascenseur et gravissons l’escalier somptueux en évitant de salir le tapis qui en recouvre le centre.

Au deuxième étage une porte est déjà ouverte. Sur l’entrée, faisant fi de la domesticité,  Mme  Untel nous attend, tout sourire, dans une somptueuse robe d’intérieur. Elle minaude :

«  Entrez, jeunes gens, mon petit Pirate et moi vous attendons . Â»

Nous pénétrons dans un très beau salon luxueusement meublé et décoré du plus mauvais goût.

Visiblement, seule Madame Untel nous attendait, Pirate lui n’attendait personne. Affalé de tout son long sur le canapé pour reposer un petit ventre rebondi qui laisse supposer qu’il ne meurt pas de faim, il dort du sommeil du juste… une sieste digestive bien méritée, au cœur d’une vie trépidante avec sa nouvelle maîtresse.

«  Pirate ! « hurle celle-ci.

Il ouvre son Å“il unique… redresse la tête… et, après un tendre regard à sa dulcinée, nous fixe d’un air contrarié du style : « Qu’est-ce qu’ils me veulent ceux-là… ils ne croient pas que je vais retourner avec eux dans leur sale refuge… non mais. Â»

Il a été toiletté, mais reste aussi laid avec son poil hirsute et malgré un fort seyant collier en strass autour de son cou qui va aussi bien à son style de beauté que les vêtements qu’elle porte à sa maîtresse.

Celle-ci minaude :

-« Vous ne pouvez croire le succès que je remporte avec lui ! Mes chères amies sont si… Â» elle a un sourire carnassier Â»â€¦ jalouses… chaque fois qu’une d’entre nous a quelque chose les autres s’empressent de l’acquérir… même leurs toutous… des races les plus rares et les plus chères… mais le mien… personne ne peut avoir le même… Na ! Je les ai bien eues ! Â»

Nous repartons après que nous ait été servie une bonne orangeade, des fruits frais et des gâteaux. L’avenir de Pirate est assuré,  même si la finalité de la « bonne action Â» n’est pas si louable que cela. Nous la comprenons mieux maintenant et, après tout, seul le résultat compte : Pirate a trouvé sa famille.

 

bottom of page