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LES TOUTOUS, C'EST PAS DE LA TARTE

 

 

 

Béa aime les bêtes. Béa aime aussi Antoine. Antoine c’est le mari de Béa… mais après Béa ce que préfère Antoine, ce sont les bêtes… C’est pourquoi depuis longtemps, voire depuis toujours Béa rêve d’un chien. D’autant plus que Béa est fille unique… alors…

Mais voilà, l’enfance de Béa s’est passée outremer où papa était militaire, alors pas question d’avoir un chien, même si cela aurait fait plaisir à toute la famille !

… Mais Béa et Antoine aiment les bêtes et n’ont pas encore d’enfant, alors lorsque Nine les rencontre en ce beau jour d’automne, elle n’est pas étonnée… de voir Béa tenir quelque chose au bout d’une laisse rouge.

La chose a un collier rouge et deux grands yeux marrons éperdus d’amour. Plus que jamais convient avec lui la définition du chien : “Un cœur avec du poil autour”… car la chose – 20 kg au garrot est une girafe montée sur pattes avec une tête de vache sur laquelle un hurluberlu a collé dans n’importe quel sens de longs poils gris entremêlés…

… Mais à y regarder de plus près c’est un chien… ce que confirme Béa quand Nine l’interpelle :

- Ça alors ! Ça y est ? Tu as un chien ?

- Oui, répond Béa du bonheur dans l’œil, c’est une occasion !

Nine qui aime aussi beaucoup les bêtes et ne veut pas peiner Béa pense qu’avec cette tête-là, il ne peut pas être neuf… mais ne dit rien… car pour lui donner mauvaise conscience le chien –chien qui a l’air de la bonté personnifiée… s’avance et remuant la balayette qui lui sert de queue… sollicite les caresses de Nine sur son poil rêche…

- C’est une occasion reprend Béa… des copains l’ont trouvé sur la route… il errait tout seul… il n’est pas tatoué… Il n’est plus tout jeune… et pas très beau. On a eu peur si on l’emmenait à la SPA… tu comprends que personne ne le prenne… et que ça finisse mal pour lui… Il est très gentil au demeurant.

- Il a l’air répond Nine… tu as bien fait de le sauver… Comment l’appelles-tu ?

- Clafoutis !

Nine ne peut s’empêcher de rire ce qui entraîne d’autres manifestations affectueuses du chien-chien…

- Ce nom lui va comme un gant !

- J’ai trouvé ça amusant !

Nine ne rajoute pas que le chien a vraiment l’air d’une tarte renversée ou d’un matériau composite… et les deux amies se quittent.

C’est ainsi que l’on vit pendant des mois Béa avec ou sans Antoine mais toujours accompagnée de l’ineffable Clafoutis.

… Lundi de Pâques… La fête foraine bat son plein… C’est une fête bien particulière que l’on appelle “Foire aux Anes” bien qu’on n’y voit plus l’oreille d’un seul de ces quadrupèdes… mais c’est une profusion de camelots, bonimenteurs, brocanteurs, chichis, animaleries… etc… qui occupe ces jours-là les allées.

C’est le jour des grandes et petites affaires… des services de Limoges presque gratuits aux assiettes inempilables pour cause de défaut de fabrication mais parfaitement utilisables individuellement où elles font leur petit effet, des couvertures qui rétrécissent de moitié après lavage, des stylos gigognes…

Le lendemain Nine voit Béa avec Antoine et sans Clafoutis…

Elle les interpelle :

- Hello !

Ils s’approchent Antoine a la tête basse, Béa les yeux rouges.

Pressentant un drame Nine ose néanmoins demander :

- Et Clafoutis ?

Béa larmoyante lève un pauvre regard aux yeux rougis vers Nine et dit d’une voix sourde :

 

- Pour mon malheur je suis allée hier à la Foire aux Anes… avec Clafoutis. Elle renifle un peu.

- Et alors ? demande Nine.

- Et alors nous nous promenions tranquillement au travers des stands quand d’un seul coup Clafoutis se met à aboyer joyeusement, à gémir, à tirer sur sa laisse à faire mille folies et m’entraîne vers un stand…

La femme se retourne, le voit et dit : “ Mais c’est Nicky, c’est mon chien ! ”.

Et les voilà l’un et l’autre pleurant ensemble et je te caresse et tu me lèches… C’est bien simple je n’existais plus…

Alors on s’est expliqué avec la dame. Elle n’avait pas abandonné Nicky. Il est parti un jour de son stand pour faire un tour à la Foire de Marseille et n’est jamais revenu…

N’a-t-il pas retrouvé son chemin ? A-t-il été enfermé ?

Ils sont restés trois jours le chercher… et en désespoir de cause sont repartis sans lui… en laissant le message partout… le croyant mort.

Nicky ne quittait plus sa maîtresse et moi j’avais le cœur gros… Je l’ai repris néanmoins. C’était pitié de les voir se regarder. Clafou… enfin Nicky ne voulait pas venir… J’ai réussi à l’entraîner. Quand il a été hors de vue de sa maîtresse il s’est laissé emmener… mais il regardait sans arrêt en arrière. Le soir il a laissé son souper. Comme je l’avais expliqué à la femme du stand, je voulais avant tout en parler à Antoine.

On est donc allé revoir les forains le soir même à leur caravane en laissant Cla…Nicky dans la voiture… Les enfants pleuraient à l’idée de revoir leur chien. L’aînée m’a supplié de le lui rendre… Il y avait des photos de Nicky à tous les âges et avec les enfants dans la caravane.

Les forains l’avaient eu lorsqu’ils étaient jeunes mariés et il avait vu naître tous leurs petits. C’était quasiment la nourrice…

Alors Antoine s’est éclipsé discrètement et a lâché Nicky qui est rentré comme un fou dans la caravane. Il sautait de l’un à l’autre en aboyant, gémissant, hurlant. Tout le monde pleurait ! Les enfants voulaient tous le caresser en même temps…

… Après un temps de silence et un reniflement Béa… poursuivit :

- Alors on le leur a laissé…

Antoine prit la parole :

- Ils nous ont remercié mille fois… ils voulaient même nous offrir un cadeau… nous donner de l’argent… Tu penses bien qu’on a refusé.

… Quand nous sommes repartis… Nicky est venu nous saluer. On a pu le caresser une dernière fois… Il nous a fait des fêtes… en remuant la queue – tout sourire – d’un air de dire, “je vous remercie pour tout !”… Puis il est vite retourné dans la caravane…

J’ai vu partir Béa et Antoine, bien tristes mais heureux d’avoir fait le bonheur de Claf… Euh… Nicky !

Quelques jours après les revoilà… Ils sont garés le long du trottoir. Je trouve ma Béa bien guillerette… Elle me montre la plage arrière de la voiture… Tiens elle s’est acheté un de ces chiens en peluche… mais non, ça bouge, c’est vivant… L’impétrant attaché avec un joli collier écossais et une laisse assortie… fait un tiers de Nicky. Il est blanc comme une feuille de papier neuf… et sa petite bouille sympathique hésite entre le caniche et le papillon…

C’est un tout jeune chien d’un an…

 

Antoine ému du chagrin de Béa lui a proposé de prolonger leurs deux bonnes actions (sauver Nicky et le rendre à ses maîtres) par une troisième… sortir de la SPA un pauvre chien, vraiment abandonné par ses (vilains) maîtres…

- Et le voici conclut Béa rayonnante. Celui-là il est bien à nous !

- Et il s’appelle ?

La réponse fuse :

- Clafoutis !

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